Une seule contrainte : tous les écrits du mois doivent commencer par la même amorce de phrase !
La phrase-amorce
Phrase par laquelle votre participation devra impérativement commencer : "Dehors, la lumière baissait déjà. Il n’a jamais su comment elle s’appelait…"
Mon texte :
Dehors, la lumière baissait déjà. Il n’a jamais su comment elle s’appelait… mais il n'a jamais oublié son regard.
Ils s'étaient rencontrés lors de la signature de son livre.
L'auteur était assis derrière une table, encadré par un journaliste animateur et le gérant de la librairie.
La pièce était bien remplie, certaines personnes restèrent debout faute de place.
L'interview débuta à l'heure après une rapide présentation de l'écrivain.
Les questions étaient pertinentes, les réponses également. Le thème de son dernier livre passionnait tout l'auditoire. Le titre, énigmatique, avait interpellé la curiosité de chacun, mais ce fut elle qui en parla la première lorsqu'arriva le moment de l'échange avec le public.
Elle avait de suite levé la main, et comme était assise au premier rang, on lui passa de suite le micro.
Sa voix était claire, très légèrement voilée -peut-être l'émotion ?- et le timbre bien posé.
Sa question fut habile, malicieuse ; elle surpris l'écrivain qui sembla s'en trouver un instant déstabilisé. Il se demanda si elle n'était pas critique littéraire ou enseignante.
Il ne le saurait jamais.
Il parla du titre de son livre mais sans répondre directement à sa question. Il découvrit une moue de déception se dessiner sur son visage et tenta alors de dévier ses mots, s'embrouilla, feignit une petite quinte de toux pour gagner du temps, mais c'était trop tard.
Il lui fit son plus beau sourire, du style de celui qu'il faisait pour la 4è de couverture de ses livres, mais cela ne fit pas disparaître la moue.
Il s'en voulait, décida de ne plus préparer ses réponses, de s'entraîner à deviser de façon impromptue, de se détendre, de lâcher prise.
Il tourna la tête vers le journaliste en quête d'un soutien... mais celui-ci était en train de discuter à voix basse avec le gérant qui avait repris le micro.
Le libraire demanda si quelqu'un avait une autre question, et elle leva de nouveau la main après avoir regardé autour d'elle : personne ne demandait la parole.
Le micro fut donc repris par la même interlocutrice qui posa une autre question tout aussi pernicieuse. Il était question d'un parallèle avec son 3è livre et celui-ci, par rapport à cette notion récurrente chez lui : l'exil.
Elle avait dit "votre troisième livre" et il était bien incapable de savoir quel était en réalité son troisième livre.
Celui qui avait occasionné cette rencontre-dédicace était son 13ème, ça il en était sûr car l'éditeur avait plaisanté à ce sujet...
Le journaliste-animateur lui sauva la mise en prenant la parole le premier et en citant le soit-disant 3è livre, mais la jeune femme l'interrompit tout net en arguant que ce livre-ci était le 4ème.
Les deux hommes échangèrent un regard inquiet. Le journaliste consulta fiévreusement ses notes, ce qui fit sourire les auditeurs.
Bref, la rencontre fut pour l'auteur un moment de torture, ça lui rappela lorsqu'il passait un examen. Dehors, la nuit était tombée, un petit crachin retenait les lecteurs bien à l'abri dans la librairie.
La séance de dédicace avait commencée, ça marchait bien, mais il cherchait du regard celle qui lui avait donné tant de mal à parler. Il espéra la voir dans la file d'attente. En vain. Dommage, elle avait une vision très fine sur son oeuvre et il avait déjà préparé un petit texte pour la dédicace. Décidément, il fallait qu'il perde cette habitude de tout prévoir !