lundi 8 février 2016

Une image, une histoire chez Lakevio


The Irritating Gentleman, Berthold Woltze

Jeu d'écriture  chez Lakévio 

Au travail, avec une toile de Berthold Woltze !


Mon texte :

Ce n'est pas la première fois qu'Adèle voyage en train, elle revient de temps à autre chez ses parents après de longues semaines passées au Couvent. Une Gouvernante l'accompagne immanquablement.
Adèle est une jolie jeune fille, de famille fortunée.
Mais ce jour-là, le voyage lui fut doublement pénible.
Elle a dû quitter précipitamment le Couvent parce que son papa venait de mourir.
Elle a dû se vêtir tout en noir, ce qui fait ressortir la blancheur de sa peau de blonde.
Elle a dû retenir ses larmes durant tout le voyage effectué en 3ème classe parce que le train était bondé. Les autres voyageurs l'ont regardée avec surprise, que faisait cette jeune et noble créature dans un wagon de 3ème classe ?
A un moment, la Gouvernante fut obligée de s'absenter pour "une affaire pressante". A peine eut-elle quitté le compartiment qu'un des hommes de la banquette arrière se leva et se pencha insolemment par-dessus son épaule :
- Pourquoi une jolie demoiselle comme vous affiche une si triste mine ? demanda-t-il d'un ton doucereux. 
Adèle ne broncha pas, obéissant aux ordres qu'on lui avait toujours donné.
- J'ai cru comprendre que vous étiez au Couvent des Oiseaux. Que c'est dommage d'y enfermer une si jolie demoiselle. A votre âge, il vous faut vivre en liberté et dans le grand monde. Vous avez une famille cruelle. La vie ne se résume pas à l'étude et la prière !

Adèle regardait désespéramment autour d'elle. Les voyageurs la dévisageaient sans vergogne, les uns s'amusaient de sa frayeur visible, les autres encourageaient l'homme à davantage d'hardiesse. 
Pourquoi sa gouvernante mettait-elle autant de temps pour revenir ?
Elle sentait le souffle tiède et empestant le tabac de cet inconnu, alors elle décida de remettre son chapeau.

- Et comment s'appelle cette jolie demoiselle ? reprit-il.

Le voisin de l'homme proposa un prénom, puis tous les autres firent de même, dans un léger brouhaha. Puis une femme fut prise d'une violente quinte de toux, les bavardages cessèrent.

A ce moment-là, son accompagnatrice surgit. Elle était si essoufflée et confuse qu'elle ne remarqua pas cet homme, debout derrière Adèle, qui s'assit brusquement au milieu des rires.

- Ma pauvre petite, commença la gouvernante, si vous saviez ! Je me suis perdue, je ne retrouvais plus notre wagon. J'ai eu si peur de ne plus vous revoir !
- Chut, moins fort ! murmura Adèle en tordant son mouchoir humide dans les mains. Quand allons-nous arriver ? Je suis si fatiguée...
- Ma pauvre chérie, nous n'avons pas l'habitude de voyager avec les pauvres, ces banquettes sont terriblement inconfortables et les odeurs très désagréables. 

Un des voyageurs se pinça le nez et sa compagne mima agiter un éventail. De nouveau, les rires moqueurs fusèrent.

- Votre maman était bouleversée à l'idée que nous allions voyager dans ces conditions, mais nous n'avons pas eu le choix, les obsèques de votre papa ont lieu cet après-midi.

Elle se signa rapidement en soupirant. Adèle la remercia d'un regard car soudain, le silence était revenu dans le wagon et chacun avait baissé les yeux. Jusqu'à l'arrivée du train, plus aucune parole ne fut prononcée.

14 commentaires:

  1. Tu nous embarques dans ce wagon : je me sentais assise sur une banquette, à assister à cette scène !

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  2. il est magnifique ton texte, j'adore, tu sais créer une ambiance qui tient en haleine ton lecteur, bravo. bises. celine

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  3. Finalement, on parle toutes de deuil, sauf celui de la Mère Castor

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  4. Oh, Eva, j'aime énormément votre version, encore plus cruelle que la mienne pour cette tendre jeune fille.
    Merci beaucoup et bravo.

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  5. Bien raconté ! nous sommes parties dans le même sens !! gros bisous

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    1. Eh oui, faut dire que cette oeuvre est très expressive ! Gros bisous Colette

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  6. Voilà qui a rabattu leur caquet !

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  7. la robe noire inspire le deuil, je vois,
    très joli texte

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    1. Oui, même influence pour la plupart... Merci à toi.

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