Pour elle, un livre est « une œuvre architecturale » : collages, découpes, mobiles, miroirs... Ses livres-objets envahissent l’espace et se jouent des limites du livre traditionnel.
« Un livre illustré est la première galerie qu’un enfant visite », affirme-t-elle.
Nous l'apprécions beaucoup.
Nous avons le CD-ROM "Le Théâtre de Minuit" (conçu par Murielle LEFEVRE, Jean-Philippe PEUGEOT et Michiru OSHIMA en 1999),
et comme bouquins magnifiques :
Alphabet
Couleur couleurs
Rond Carré : Le Livre-jeu des formes
D'autres ouvrages :
Pour en savoir plus, voici des extraits d'une interview réalisée en 2005 :
(Rencontre organisée en direction des bibliothécaires du Val de Marne, par Francine Foulquier, Conseillère culturelle pour le Livre jeunesse au Conseil général du Val de Marne;
mardi 15 juin, Hôtel du département, Créteil)
K.P : J'ai fait quelques livres, une série, que j'appelle les livres "à toucher". Ce qui me semble important, ce n'est pas seulement ce que vous voyez avec vos yeux, mais aussi ce que vous pouvez sentir, la forme d'un chiffre ou d'une lettre ; c'est de pouvoir utiliser, si possible, les cinq sens …
Mon premier livre a été édité en français : son titre est "Jamais deux sans trois". C' est un ouvrage sur les chiffres ; j'adore leurs formes et l'importance qu'ils ont dans notre vie. Chaque double-page est consacrée à un chiffre, avec une petite exception pour le chiffre trois, parce qu'il me plaît énormément. Il y a des jeux de relief qui permettent d'appréhender les chiffres, ainsi que deux personnages, un clown et un hippopotame. Des pastilles, des ouvertures, des pliages, des miroirs, des inversions permettent d'interagir avec le livre, qui devient un objet à manipuler, dans lequel on peut pratiquement entrer… C'est un livre avec lequel on peut beaucoup s'amuser. Il a été publié en 1990, j'ai cru que ce serait le premier et le dernier, qu'il ne plairait pas, qu'il ne serait pas compris. Par miracle, tous les stocks ont été vendus et j' ai eu la chance de faire d'autres livres depuis. Ensuite, en effet, est venu le livre sur les couleurs, puis celui sur les formes, l'alphabet, sur comment se faire des amis en papier… Voilà.
Pouvez-nous nous parler de l'origine de la prédominance du rouge dans vos ouvrages ?
C'est une question récurrente, une bonne question… J'aime toutes les couleurs, mais certaines sont plus difficiles à travailler que d'autres. Je me souviens d'un texte de travail que j'ai écrit il y a quelques années, et qui disait à peu près ceci : le blanc est la meilleure couleur pour moi, car elle est pure ; le jaune est la meilleure couleur pour moi, de par sa chaleur ; le rouge est la meilleure couleur pour moi, chaleureuse et brillante ; le vert, qui est la meilleure couleur pour moi, reflète le vivant ; le bleu est la meilleure couleur pour moi, parce qu'elle est liée à notre esprit ; le noir est la meilleure couleur pour moi, car c'est la reine des couleurs qui contient toutes les couleurs, les recouvre toutes… Chaque couleur pour moi est la meilleure. Dans un de mes livres, un escargot se plaint parce qu'il n'a pas de couleurs ; il pleure et crie pour les trouver, et le livre lui offre une vaste gamme de couleurs et la possibilité d'en créer. Il découvre, et nous avec lui, comment sont les couleurs la nuit ou le jour, sur fond noir ou sur fond clair.
Vous nous avez dit tout à l'heure combien les chiffres sont importants pour vous. Avec les lettres, le papier, on reste toujours sur le livre, sur ce qui compose le livre ; souvent on retrouve le livre dans le livre ; au point que je me demande si dans votre activité de plasticienne vous ne réfléchissez pas aussi à ce sujet, créant un va-et-vient entre les deux mondes.
C'est vrai, les deux reflètent mon travail et mes pensées. J'ai toujours voulu que les enfants puissent profiter de cette autre partie de mon travail, et c'est d'ailleurs dans cet esprit que je suis en train de réaliser mon prochain ouvrage.
Vous parlez beaucoup des enfants ; y pensez-vous lors de la conception de vos livres ou les réalisez-vous sans penser aupublic auquel ils sont destinés ?
Je travaille, tout simplement, et quand je travaille je ne pense pas à tout ça. Ensuite, j'estime que le travail destiné aux enfants ne doit pas être de moins bonne qualité que pour des adultes, mais meilleur au contraire. Je n'aime pas l'attitude qui consiste à dire "Bah, de toute façon, c'est destiné à des enfants… " Justement, leur esprit est encore vierge, profond, ils y impriment plein de choses qu'ils vont garder toute leur vie. Je crois en cela et je crois qu'il est important que ces enfants, futurs architectes ou ingénieurs, aient acquis d'une manière plus sensitive que pédagogique ces notions d'espace, de forme, d'abstraction.
Votre premier ouvrage était-il un choix personnel ou s'agissait-il d' une commande ? |
Je reviens sur le rouge, car dans les bibliothèques, les enfants qui veulent lire et relire vos ouvrages ne demandent pas les livres de "Madame Pakovska" mais de "la dame qui fait des livres en rouge"…
Oui, j'aime cette couleur, elle est chaleureuse. De plus, techniquement, elle était plus maniable que d'autres ; sa reproduction sur un certain type de papier était aisée à une époque où ce n'était pas le cas de toutes les couleurs.
F.F : Un petit mot sur Le Seuil, l'éditeur français des ouvrages de Kveta Pakovska : peu d' éditeurs sont capables d'assurer une telle qualité de fabrication et de s'engager sur des livres qu'ils considèrent comme des œuvres d'art, en déployant des moyens importants. Les auteurs y ont un statut d'auteur, mais aussi d'artiste, ce qui n'est pas le cas chez tous les éditeurs. Il y a d'ailleurs un département "Image" qui traduit cette préoccupation, cette volonté de bien réaliser des projets qui peuvent être compliqués.
K.P : En effet, c'est compliqué ; parfois les artistes créent des images qu'ils donnent à l'éditeur pour qu'il se charge de la mise en page ; ici, ce n'est pas le cas. On a une architecture complexe, des images, ce qui nécessite parfois trois épreuves préliminaires.
Le livre que je suis en train de préparer et qui sera offert aux nouveau-nés du Val-de-Marne fera, je l'espère, l'objet d'autant de soins ; pas seulement parce qu'il est destiné à des enfants qui vont naître, mais aussi parce que ces enfants sont et seront des personnes, au-delà de l'âge qu'ils peuvent avoir à tel ou tel moment. C'est ce que j'apprécie particulièrement dans ce travail. La France a une tradition d'histoire de l'art extrêmement importante ; c'est un plaisir pour moi de penser que ces êtres vont grandir et porter en eux, dans ce bagage culturel, mon ouvrage.
L'art a un statut important dans votre œuvre. Tout aussi important est l'aspect ludique, joyeux ; le mouvement, le rythme, le dynamisme qui complètent l'impact de la couleur et que l'on retrouve d'un livre à l'autre. La page est pensée, modifiable (par le jeux de languettes, etc.) et son aspect ludique permet justement une appréhension de l'art moins muséale et plus agréable : on n'est ni dans l'apprentissage, ni dans l'éducatif…
Un livre important de ce point de vue est "Alphabet" ; j'ai choisi les voyelles, on peut jouer avec, les voir de différents points de vue, elles sont faites pour être prononcées, entendues, touchées, retournées, décomposées ou recomposées… Pour le rythme, en effet, j'aime alterner des pages blanches avec d'autres aux couleurs soutenues afin de créer des contrastes. Je joue avec le positif/négatif, la forme de la lettre, son relief, etc. La beauté, c'est une façon de comprendre qui a son propre pouvoir. |
Pour continuer à parler du mouvement et de la forte dimension ludique dans votre œuvre, pouvez-vous nous parler de la transposition sur cédérom de vos œuvres et de la manière dont vous avez affronté un changement de support aussi important ?
Ma condition préalable à cette proposition d'adaptation était justement que je puisse contrôler cette transposition du début à la fin. Je voulais que tout soit très simple afin que même les tout jeunes enfants puissent manipuler le clavier. Presque tout a donc été fait selon mes souhaits, même si pour des raisons techniques je n'ai pas réalisé moi-même certaines choses. Il y avait une partie expérimentale dans ce projet, je suis donc satisfaite, en particulier pour le cédérom sur l'Alphabet.
Avez-vous eu l'occasion d'expérimenter vos livres avec des enfants, de les voir en situation avec des enfants, et si oui, cela a-t-il changé quelque chose dans votre processus créatif ? Est-ce au contraire un monde totalement intérieur sur lequel l'influence des enfants n'a pas prise ?
Il faut suivre sa propre voie ; notre monde intérieur, quoi qu'on fasse, est influencé par le monde extérieur. J'ai toute ma vie eu des occasions de voir et d'écouter des enfants, de voir à quel point ils sont eux-mêmes influencés par l'extérieur sans se poser de questions inutiles… Je crois en les enfants, je crois aux enfants. Parfois je pense que même s'ils n'en disent rien, ils savent plus de choses sur nous que nous-mêmes.
"Le petit roi des fleurs", un très bel ouvrage publié en 1992, est désormais introuvable. Une réédition est-elle envisagée ?
Cette question à propos de ce petit livre qui n'arrive décidément pas à vieillir m'a souvent été posée. Il a eu deux ou trois éditeurs en France, il a été traduit en dix-sept langues, ce fut effectivement un succès. Je fais tout pour qu'il soit réédité, mais en vain pour l'instant.
Avez-vous projeté d'exposer vos œuvres en France dans un avenir proche ?
F.F : Traditionnellement, une exposition composée d'originaux du livre offert aux bébés est présentée à l'occasion de son lancement. Cette année, à partir de ce livre, nous allons réfléchir avec Kveta à la manière de monter cette exposition : que montre-t-on, comment le montre-t-on … non seulement en intégrant le livre, mais peut-être aussi d'autres œuvres issues du travail de plasticienne de Kveta, qu'il pourrait être intéressant de mettre en regard. C'est une idée de départ, nous verrons plus tard comment la mettre en place.
K.P : Mon travail est aussi de faire des expositions, ce sera un plaisir de travailler dans ce sens. Je suis peintre, sculptrice, plasticienne, et je n'ai jamais suivi d'études de graphisme. J'aimerais que mes ouvrages soient perçus ainsi, non pas comme des œuvres d'un illustrateur professionnel mais comme le travail créatif d'un autre ordre.
F.F : Il y a trois dimensions qui nous intéressent : les originaux du livre, qui procurent une expérience esthétique et des sensations riches, bien que techniquement il soit assez contraignant de les exposer ; le livre, qui est à la fois une rencontre artistique et une rencontre ludique ; enfin, les œuvres de Kveta en tant que plasticienne. Il sera difficile de traiter ces trois dimensions mais c'est en tout cas dans cette direction-là que nous allons nous questionner. Dès que nous aurons des informations plus précises, vers la rentrée, vous serez informés…
En attendant, nous pouvons vous parler de ce livre afin que vous puissiez l'imaginer. Il s'agit d'un gros projet, original, qui s'inscrit dans la continuité de l'œuvre de Kveta mais qui est aussi un projet particulier qui traduit dans sa forme son caractère exceptionnel.
K.P : C'est difficile de parler de quelque chose qui n'est pas encore achevé… Il s'agit d'un projet énorme, qui est composé d'une centaine d'images, disposées en accordéon sur une cinquantaine de pages recto verso. Il y a plusieurs manières de lire ce livre : on peut tourner les pages, le déplier et en faire le tour. Il y a la possibilité de jouer avec les formes et les couleurs, avec des parties découpées recomposables a posteriori. Le ludique et le créatif sont là aussi toujours très présents. J'ai un peu de pudeur à en parler avant qu'il ne soit terminé…
F.F : Kveta avait très envie de destiner le livre à l'enfant et de faire la part belle à l'enfant-lecteur dans le livre. L'idée est celle de "c'est un livre pour toi", c'est à dire faire de la place pour l'enfant dans le livre. Ce livre suggère le mouvement, à la fois de la pensée et du corps.
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