vendredi 10 décembre 2010

XU et OXU

Aucun doute, quand Christine Murillo pose des questions, juchée sur une chaise-à-trois-pattes qui la maintient en l'air par l'opération du St-Esprit, elle (je ne sais pas) mais les spectateurs (c'est certain) sont au 7ème ciel !

OXU ( prononcer : o-gzu ) est un mot qui signifie : " objet qu'on vient de retrouver et qu'on reperd aussitôt " - un peu comme les illusions en quelques sortes ?

Qu'est-ce que vous croyez, il n'y a pas que les académiciens qui cherchent des définitions, ces trois là, aussi. Il font mieux du reste puisqu'ils inventent des mots alors que nos vieilles barbes ne font que les valider.
Car la recherche commune de Jean-Claude Leguay, Grégoire Oestermann et la géniale comédienne sus-nommée est de trouver ce qui n'a jamais été dit.
Par exemple, vous aviez remarqué que les lettres de l'alphabet sont invariables au pluriel ? Il suffisait d'y penser pourtant mais jamais aucun professeur ne vous en a fait la remarque, bien entendu.

Autre sujet de réflexion,

- que pensent les poissons quand il pleut ? ...

Et les interrogations de ce genre tombent comme à Gravelotte.
Le public se remet à peine d'un fou rire qu'un autre lui tombe dessus ( aussi sec ! )Courbatures des zygomatiques assurées. La scénographie s'avère aussi décalée que la recherche de nos trois compères et comme apparemment les mots ne sauraient leur suffire, ils ont ajouté une partie musicale, à la fin très réussie, histoire que l'on parte avec le regret que ce soit déjà fini. Ce spectacle est idéal pour chasser la morosité. Courez-y vite !


Simone Alexandre
www.theatrauteurs.com

---------------------------------------------------------------------------------

Ce qu'en disait Télérama à l'époque :

Les mots des petits maux

De adchica (« soucoupe qui reste collée un instant au cul de la tasse ») ou aflète (« personne qui ne fait pas de bises quand elle fait la bise ») jusqu'à zerzir (« faire pipi à contrevent ») ou zwycky (« être battu au Scrabble par un enfant à qui vous avez appris à lire »), ils sont nombreux les minuscules et néanmoins insupportables tracas ordinaires que Jean-Claude Leguay, Christine Murillo, Grégoire Oestermann rebaptisent en impitoyables démiurges du quotidien, et incarnent en scène avec une fantaisie désopilante et navrée. Parce que « souffrir avec précision, c'est mieux savoir vivre mal », l'irrésistible trio s'est d'abord amusé à nommer littérairement dans un délirant dictionnaire, Le Baleinié (1), les mille et un inavouables regrets et remords intimes qui s'évertuent à nous polluer l'existence. De jontevir (« passer sans monnaie devant la dame pipi ») à coussoindre (« rappeler pour dire non après avoir dit oui ») ou coussuiner (« rappeler pour dire oui mais trop tard »), les trois comédiens ont ainsi trouvé ensemble les clés d'infimes mais infinis désagréments jusqu'alors tus ou réfugiés dans l'inconscient. En praticiens virtuoses du verbe scénique, ils savaient forcément mieux que quiconque dénicher les justes sonorités, assonances et dissonances pour les exprimer. Du Dictionnaire des tracas, mijoté ensemble pour l'édition dès 2003 (un deuxième et un troisième volume allaient suivre en 2005 et 2007) à la réalisation collective d'un spectacle, il n'y avait donc qu'un pas. Vite franchi en 2006 pour un premier essai, jubilatoire, Xu (« objet bien rangé, mais où ? »), confirmé aujourd'hui avec Oxu (« objet qu'on vient de retrouver et qu'on perd aussitôt »).

C'était une vraie gageure que de concevoir une appétissante tranche de théâtre à partir d'une suite lexicale, aussi farfelue soit-elle. Les complices Leguay, Murillo et Oestermann ont pourtant emporté le morceau avec des inventions scéniques constantes. Qu'on en juge, dès le lever de rideau : Christine Murillo, muette, y apparaît accrochée au lustre, exsangue, après une poursuite infernale avec un moustique... Et de situation incongrue en situation incongrue, le spectacle cavalcade, réveillant chez le spectateur réjoui la mémoire de mille et un soucis bénins et rongeants. Les exorcisant joyeusement aussi, grâce au jeu toujours inattendu, sans conformisme, de comédiens qui dépotent et osent tout : parler de suicide et de pipi-caca, de réparateur et de mal au pied.

(1) Le Baleinié, Dictionnaire des tracas, tomes 1, 2, 3, éd. du Seuil.

2* Oxu, de et par Jean-Claude Leguay, Christine Murillo, Grégoire Oestermann. Jusqu'au 30 mai 2009 au Théâtre du Rond-Point, Paris 8e. Tél. : 01-44-95-98-21.

-------------------------------------------------------------------------------
L'interview
Christine Murillo, Jean-Claude Leguay et Grégoire Œstermann, les pros des tracas

Ces trois excellents comédiens sont les créateurs du délirant Baleinié, le dictionnaire des tracas… (Tome I, II et III, éditions du Seuil). En 2006, ils en avaient créé une version scénique, Xu (objet bien rangé mais où). Aujourd’hui, ils proposent Oxu (objet qu’on vient de retrouver et qu’on reperd aussitôt). Rencontre joyeuse au café du coin du Rond-Point…

Propos recueillis par M-C.Nivière

Dites-moi, Bacchus a été des vôtres pour réaliser ce délirant dictionnaire des tracas ?

G. Œstermann : Pour Le Baleinié, effectivement, Bacchus était des nôtres. Pour Oxu, c’est plutôt Dionysos.

J-C. Leguay : Le mot Puace vient d’une de ces séances. (Puace : fond de verre de vin insuffisant pour faire une gorgée).

C. M. : Je suis plus portée sur la cervoise fraîche mais… On a eu aussi les volcans d’Auvergne ! Pour les pauses alimentaires On est passé du Japon à l’Italie, avec un détour par la France traditionnelle…

G. Œ. : D’où le verbe manjir, (hésiter entre « l’italien » où on était la dernière fois, « le français » mais il a baissé, « le chinois » mais il est un peu loin, et « le japonais » mais y a jamais personne.)

Il faut un sacré sens de l’observation pour pointer les petits tracas qui gâchent la vie.

G. Œ. : Est-ce un sens de l’observation ?! Je dirais plutôt du ressenti… Des neurones fatigués…

C.M. : Une observation de nous-mêmes. A nous trois, nous représentons l’univers ! Voilà, c’est un peu ça !

J-C. L. (montrant du doigt la main de Murillo se jetant dans la coupelle à cacahuètes) : Ce que fait Christine, cela s’appelle Vruter, ne pas pouvoir s’arrêter de manger des cacahuètes salées.

G. Œ. : Et par extension, regarder la télé quand même.

Et une grande complicité pour arriver à classifier tout ça ?

C.M. : Surtout un grand respect ! Je suis très cliente de leur talent. Ce n’est pas tant le fait d’être des amis qui a donné naissance à tout ce travail. Ce sont bien les tracas qui nous ont réunis car nous sommes partis de là… Une discussion… Un soir…

Comment en arrive-t-on à parler de ces fichus tracas ?

G. Œ. : Parce qu’on en a tous ! Mais certains sont déjà classifiés dans les dictionnaires comme gaffe, scrupule, trac… Potlach, le cadeau trop beau que l’on doit rendre à l’équivalent, n’est pas dans « Le Baleinié » mais bien dans « Le Robert » ou le « Larousse »… (Don ou destruction à caractère sacré, constituant un défi de faire un don équivalent pour le donataire, ndlr).

J-C. L. : On se voyait tard mais l’esprit bien éveillé car nous sommes plus du soir que du matin. Tiens, là Christine cherche dans son darteau, sac à main plein où on ne trouve rien. (Venant de vivre un Xu, elle referme son sac faisant bien gaffe de pas faire un Oxu).

J-C.L. : Il y a un équilibre qui vient de nos différences. On aime bien se faire rire, se surprendre…

C.M. : Oui c’est ça. Tiens, hier à la séance de travail, on s’est bien engueulés et aujourd’hui, tout s’est très bien passé… On est comme des chats, on retombe toujours sur nos pattes.

J-C.L: Ça fait moins mal que sur les genoux

Comment vous est venue l’idée d’utiliser pour les définitions des mots qui ressemblent à rien et finalement à tout ?

G. Œ. : Lors de la première réunion chez Christine. On ne voulait pas des mots-valises, dont le double-sens donne la définition.

J-C.L. : Limogoulème, rue piétonne des centres-villes, est l’exception qui confirme la règle ! Il faut d’abord que l’on soit d’accord tous les trois. Nous allons à l’intérieur de la consonance.

C.M. : C’est ce que l’on racontait dans Xu.

C.M. : Chikungunya, ça, c’est un mot que l’on a beaucoup entendu ! Fallait le trouver. On s’est fait dépasser là !

Justement, si Xu racontait une séance de travail du Baleinié, Oxu sera quoi ?

J.-C. L. : Dans Xu, on était chez Christine, un endroit improbable… Là, on sera plus sur l’idée de chantier…un chantier autour du « Baleinié ».

C.M. : On a commencé par le petit ours, la petite salle. Après, la moyenne, la maman ourse. Maintenant place à la grande ! Finalement, c’est « Boucle d’or » cette histoire!

J-C. L. : On a repris la même équipe qui nous a fait des objets tracassants. Il y aura des clins d’œil à Xu.

G. Œ. : Mais faut pas le dire ! En fait, ce sera le même processus, une séance du « Baleinié ».

C.M. : On s’est demandé qui viendra nous voir. Des gens qui ont vu « Xu » ou pas ! On a choisi de faire pour les deux cas, pour que tout le monde s’y retrouve.

J-C.L. : Attention, nous arrivons bientôt à la Ziette (dernière frite que personne n’ose prendre).

Quel est pour vous le plus grand Ornottoubiisme (tracas d’acteur) ?

J-C.L. : Qu’il n’y ait personne dans la salle !

G. Œ. : Jouer du Feydeau devant des fauteuils vides.

C.M. : Attendre à côté de son téléphone.

J-C. L. : Ne pas savoir son texte.

C.M : Ça s’appelle un trou !

Un tracas de spectateur ? Comme le Wewedem ?

G. Œ. : Le Wewedem. Ce n’est pas le conflit international qui a débuté avant votre naissance et qui dure encore ?

C.M. : Oui, mais c’est aussi, la lutte discrète avec votre voisin pour la possession de l’accoudoir.

J-C.L. : Il y aussi le verbe Argascaner, subir des coups de genoux dans son dossier dès le début du spectacle.

C.M. : Au fond, connaître le mot qui désigne un tracas, soulage, et rend la chose plus supportable. Souffrir avec précision c’est mieux savoir vivre mal.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Merci de votre passage. Votre message sera validé par le modérateur.